Lorsque Michel Ancel, le papa de Rayman, a annoncé sa retraite anticipée et son souhait de quitter l’univers du jeu vidéo, et par conséquent son poste de Directeur créatif chez Ubisoft Montpellier, certaines voix ont alors commencé à se faire entendre. Après les diverses accusations d’agressions sexuelles et des conditions de travail toxiques dans les antennes de Paris et Montreal (je vous conseille d’ailleurs le lire l’enquête de Numerama à ce sujet), c’est au tour de l’entité de Montpellier de se faire remarquer. Il est vrai que le timing de ce départ étonne. Le journal Libération menait déjà une enquête sur Michel Ancel une dizaine de jours avant son annonce.
Décryptage.
Beyond Good and Evil 2 : le côté obscur d’un développement AAAA
Juin 2017, conférence Ubisoft de l’E3 à Los Angeles, le géant Français clôt sa présentation par le reveal de Beyond Good and Evil 2. Michel Ancel en personne monte alors sur scène après cette première vidéo grandiloquente. Mais à l’époque tout est faux. Le titre en est même qu’au stade de concept.
Alors que les joueurs piétinent d’impatience d’en découvrir davantage, en interne le développement est un véritable cauchemar. Le nouveau moteur graphique demandé par Ancel prend du retard mais ce sont surtout les changements d’orientations constants imposés par le directeur créatif qui exaspèrent. Pas une décision, aussi infime soit-elle, ne peut être prise sans son aval.
Michel Ancel est capable en interne de balayer en quelques secondes des semaines ou des mois travail.
Des employés désemparés face à un directeur créatif arbitraire
En interne, le développement prend légitimement du retard face aux nombreux revirements de Michel Ancel sur les orientations créatives du projet.
Malgré une équipe composée de talents chevronnés, l’usure psychologique se fait de plus en plus ressentir au sein du studio. Dépressions, burn-out, demandes de mutation ou démissions ponctuent le développement chaotique de Beyond Good and Evil 2.
Un statut de superstar
Michel Ancel a été embauché chez Ubi Soft dès l’âge de 16 ans et a depuis noué un lien quasi filiale avec le PDG Yves Guillemot. Les 13 millions d’exemplaires vendus de Rayman ont installé l’idée chez le PDG de laisser les créatifs s’exprimer. Et Michel Ancel jouit d’un statut de superstar au sein de la société. Il a négocié avec la direction afin de ne travailler qu’à mi-temps. Il est présent le matin au studio de Montpellier avant de consacrer son après-midi à Wild (une exclusivité Playstation payée par SONY) au sein de son propre studio de développement. Un passe droit qui fait enrager en interne.
Mais à l’été 2017, Jean Marc Geffroy, alors directeur créatif sur la licence Ghost Recon, rejoint l’équipe de Montpellier afin d’essayer de faire avancer le projet. C’est un profil drastiquement opposé à celui de Michel Ancel. Davantage porté sur les combats et les sensations de gameplay auprès des joueurs, il en délaisse la narration et la construction d’un univers cohérent (on l’a vu sur Ghost Recon Breakpoint cela dit… et ce n’est pas un compliment), choses qui pourtant obsèdent Ancel. Marc Geffroy est considéré comme une grande gueule et a toute la confiance de Serge Hascoët, ancien directeur des créatifs d’Ubisoft depuis les révélations de cet été. Pour faire simple, déjà que le projet n’avançait pas, il y a désormais deux directeurs créatifs qui ne peuvent pas se voir. Ambiance. D’ailleurs Michel Ancel ne fera pas le déplacement en 2018 à l’E3 afin de présenter les avancées sur son propre jeu.
Michel Ancel perd le contrôle sur le développement de BGE2
Ce qui était prévisible arriva, la relation entre Michel Ancel et Marc Geffroy tourne au vinaigre. Et Ancel commence à prendre de plus en plus ses distances avec le studio.
Face à cette situation, Michel Ancel décida d’appeler directement Yves Guillemot pour lui faire part de son mécontentement et que ce n’est plus « son jeu ». L’équipe de production de Montpellier, arrive in extremis à obtenir un sursis d’un an pour délivrer une première démo jouable du jeu face à Guillemot et Hascoët venus spécialement à Montpellier afin d’annuler le projet. Un troisième directeur créatif est alors ajouté à l’équipe afin de pallier aux différents manquements du titre.
Ubisoft recrute en masse pour ce super projet afin d’atteindre les 250 personnes sans oublier les collaborations avec les autres studios du groupe. Un défi pour cette antenne qui a pour accoutumée de réaliser des jeux de moindres envergures avec une équipe composée de 30 ou 40 personnes.
L’année 2019 permet néanmoins à Beyond Good & Evil 2 d’avancer de manière significative dans son développement. Mais non sans douleur : Coups de sang, insultes, absence d’esprit d’équipe sont toujours autant présents. Tout cela avec une présence très limitée de Michel Ancel dont sa voix n’est quasi plus écoutée dans l’équipe de production.
La démo jouable, arrachée de peu par une vaillante équipe de production au sein d’Ubisoft Monpellier, a été validée par le board au printemps dernier. Beyond Good & Evil 2 rentre enfin, après 7 ans de conception et de R&D, en production. Mais la pandémie mondiale est un nouveau frein au bon déroulement du projet, pourtant sur de bons rails. Les contraintes de télétravail avec une équipe qui n’a jamais été soudée et dernièrement les scandales d’agressions sexuelles révélées cet été n’aident pas. Ce titre qui doit rayonner aussi fort qu’un GTA, Skyrim ou encore The Witcher a encore du pain sur la planche avant d’en voir, d’ici deux ou trois ans, le bout de son nez. C’est pourtant un très beau projet d’après les dires des développeurs et ils vont le terminer « ce putain de jeu »
Cet article a été rédigé à partir de l’enquête menée par le journal Libération. Je vous invite à lire l’intégralité de l’enquête à cette adresse.